En entrant dans la salle bondée du centre Bang, ce vendredi-là, les œuvres intrigantes, porteuses de critique sociale ou politique, déterrées de l’oubli et remises en valeur au milieu des jeux de mots implacables brillaient toujours de pertinence. Et l’essentiel y était : dès l’entrée un Cabinet de curiosités bourré de textes écrits à la main attirait d’emblée notre attention, faisant fois du travail d’orfèvre que Jean-Jules exécutait patiemment en jonglant avec les vocables et les concepts. Des carnets, des listes de notes, des germes d’acronymes géniaux, d’idées manipulées, triturées ou biffées pour construire du sens dans ses ruminations syntaxiques. Puis dans le premier espace en face de nous trois affiches à la Duchamp, son maître à penser à qui il a constamment fait la part belle et aux écrits duquel il s’est attardé dans d’habiles calembours dès 2007: L’artiste Duchamp du singe, L’artiste Duchamp du signe et L’artiste Duchamp du seing – singe, signe et seing étant des anagrammes parfaits; et Les grandes moppes canadiennes de 1988, chèvres mémorables désinfectées, lavées et peignées pour la galerie, une allusion à la bureaucratie, l’institution, le pouvoir à travers l’humour et la dérision. À l’origine, trois des ruminantes en vadrouilles avaient une médaille autour du cou : de bronze, d’argent et d’or, comme aux Jeux olympiques, sauf que ces médailles étaient façonnées dans des boules de laine d’acier qui servent à nettoyer la vaisselle, évidente mise en déroute du système sportif et de son support médiatique. Plus loin, les magnifiques oiseaux en sacs de papier de son Biodâme de 1993, sagement regroupés et posant sur leur portée de fils, prêts à ouvrir le bec. Sur le mur d’en face, à côté des immenses dessins gestuels des premières années de carrière, un encadrement d’une partie du légendaire Tapis stressé de 1993 issu de l’incontournable tryptique L’œuvre pinte, nous remémorait cette aventure extravagante : des dizaines de milliers de contenants en carton de lait assemblés en collaboration avec la contribution des populations locale et provinciale et qui avait fait couler beaucoup d’encre.
Le concepteur de l’impressionnante carpette avait voulu dénoncer le stress environnemental agressant la planète, tout en réfléchissant sur la survie de la peinture dans l’art contemporain.
Tout ça en empruntant une méthode artisanale de notre patrimoine québécois, la ceinture fléchée, mettant en articulation le commentaire et l’esthétisme réactualisant les « pintes » qu’on jetait à l’époque à la poubelle(1). Au centre, devant les dessins, une des petites chaises recouvertes de lanières de tissus qui le fit passer du bidimensionnel au tridimensionnel, dans une série exploitant ce meuble utilitaire symbole de repos, de confort et de sédentarité. Débuté en 2004, alliant immobilité et mouvement répétitif, il faut se rappeler que Jean-Jules avait complété un Tour du Canada à vélo stationnaire en pédalant dans les vitrines de différents centres d’artistes, galeries d’art ou musées et lors d’évènements, entre autres à Montréal, Ottawa, Toronto, Vancouver et Victoria, accumulant ainsi les 8800 kilomètres nécessaires à l’aller-retour La Baie-Victoria. Et finalement, au détour de la deuxième salle la cerise sur le sundy, Bouffons, dans toute sa splendeur, une partie de l’étalage de 1995, ce généreux banquet de desserts pour les yeux, appétissants à s’y méprendre, encombrant une table qui occupait toute la pièce. Revampés pour l’occasion les confiseries, les tartes, les gâteaux, les feuilletés, les desserts à la crème, aux fruits colorés ou au chocolat, confectionnés à partir de pelures d’oignons, de chaussette, de bandelettes de chandails et autres matériaux inattendus, étaient plus vrais que nature et ravissaient au premier coup d’œil. Mais aucune odeur ne se dégageait que cette orgie de nourriture alléchante et d’habitude si parfumée, figée dans le temps. Métaphore tristement d’actualité quand on sait les problèmes liés à l’accès pour tous à ces denrées. Autres produits de consommation et substances recyclées anoblies à l’aide de techniques multiples et inventives, dans une efficace mise en scène de bricolage engagé, célébrant d’un même souffle le bonheur de vivre au quotidien et la surabondance d’aliments réservée aux privilégiés de ce monde.