ÉMERGENCES ARCHÉOLOGIQUES
Par Manek Kolhatkar
Répétitions
Le réveil sonne. Je me lève. La cafetière m’attend. Je la prépare. J’attends. Elle commence à siffler, légèrement d’abord, puis vient le temps de la retirer du réchaud. Je verse le café dans une tasse. Je le bois. Je m’habille, chaudement, j’ouvre la porte de mon petit appartement, la referme derrière moi, descends les marches, et m’engage dans la bouche de métro qui m’amène sur mon lieu de travail. Les autres membres de l’équipe arrivent, progressivement. Nous enfilons nos chaussures et gants de protection, dossards, casques. Rencontre d’équipe, rappel des objectifs du jour, les mêmes qu’hier. Nous continuerons de fouiller nos secteurs respectifs.
Je rentre dans le conteneur chercher mon matériel de fouille. Je récupère mon matériel, une truelle, un porte-poussière, un balai, un niveau à bulle, un carnet de notes, une ficelle, un crayon, une chaudière, deux genouillères. J’installe mon équipement dans la brouette, j’attends que les autres aient fait de même. La brouette part vers mon secteur de fouille. Je la suis, mes pieds la poussent, mes mains la tiennent, il fait encore sombre, mais le chemin est le même qu’hier, avant-hier, il y a deux semaines, et il sera encore le même pour les jours, semaines, à venir. J’arrive, je sors mon équipement, je navigue sur les planches qui me permettent d’atteindre mon puits de fouille sans endommager les autres. J’attache mes genouillères, je pose mes genoux sur le sol, au bord de mon puits, suffisamment proche pour pouvoir y travailler, suffisamment loin pour ne pas effondrer ses parois sous mon poids. Je sors le reste de mon équipement de la chaudière.
Ma truelle retire des sédiments, progressivement. L’angle de sa lame relativement au plan horizontal formé par le sol trouve le juste équilibre entre retirer pour mieux voir et trouer sans laisser de trace. Si je troue sans laisser de traces mon travail n’aura servi à rien. Je retire pour mieux voir. Petit à petit. Je pars de l’extrémité opposée de mon puits de fouille, ramenant le sol à moi par petits gestes répétitifs, usant de la pointe de mon outil pour m’assurer que la paroi reste toujours verticale, et que la séquence des sols puisse rester claire en même temps que la surface horizontale révèle ce que j’en dégage. Les sédiments retirés commencent à former un tas qui m’empêche de voir. Je le pousse dans le porte-poussière, je le transporte dans la chaudière, je peux continuer de retirer des sédiments, les sédiments forment à nouveau un tas, je le retire.
Le seau est plein. Je me lève, je prends le seau, je me déplace vers le tamis le plus proche, j’y verse le contenu de mon seau, je secoue le tamis, vigoureusement d’abord, j’évacue le plus gros du sédiment. Je frotte délicatement le sédiment restant du plat de la main pour retirer ce qu’il en reste, je peux voir la maille à nouveau, et sur cette surface je vois de petits fragments de poterie. Je les récupère, je les emballe et étiquette le sac précieusement. Je vide le reste du tamis, lui donne un petit coup pour évacuer le reste des sédiments collés dans ses coins, je laisse la place à l’archéologue suivant, je retourne vers mon puits. Je navigue sur les planches, je pose mes genoux au même endroit que tout à l’heure, je reprends ma truelle, je recommence.
Après quelque temps, j’ai retiré une couche de deux centimètres d’épaisseur sur toute la surface du puits. Pelé comme un oignon, surface après surface, ce puits doit maintenant être photographié, ses principales aspérités dessinées et coordonnées, ce qu’il a révélé doit être évalué et réévalué à l’aune de ce que les autres puits ont révélé. Un collègue me rejoint, nous observons, ensemble, à l’aide de ce plan de perception partagé que forme la surface nettoyée. Une tache suspecte est apparue dans le coin inférieur droit du puits. Nous décidons qu’il vaut mieux laisser la tache là où elle est pour le moment, qu’il vaut mieux fouiller le puits adjacent pour avoir une meilleure idée du patron que pourrait former cette tache.
Je rassemble mon équipement de fouille, je le remets dans la chaudière, je me déplace vers le puits adjacent, je ne pose mes genoux ni trop loin, ni trop près du bord du puits, je ressors mon équipement de la chaudière, je reprends ma truelle, et progressivement…