Véronique Basile Hébert est une femme de théâtre Atikamekw de la communauté de Wemotaci. Doctorante en Études et Pratiques des arts à l’UQAM, en recherche-création en théâtre, elle détient un baccalauréat en théâtre de l’Université d’Ottawa ainsi qu’une maîtrise en dramaturgie portant sur le chamanisme chez Jovette Marchessault. Participante du programme de théâtre autochtone de l’École Nationale de Théâtre du Canada, elle a également été l’une des créatrices du théâtre de rue du Festival Présence Autochtone de Montréal. Elle produit des œuvres dans les communautés autochtones et a collaboré aussi avec diverses compagnies de théâtre. S’inspirant de la Nature et de sa culture, elle écrit, met en scène et interprète ses spectacles avec des artistes de diverses origines. Son théâtre est engagé, près de ses préoccupations d’autochtone, de femme et d’artiste.
Dalie Giroux est chercheure, essayiste et professeure en théorie politique à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse notamment à l’articulation des rapports de pouvoir sur le territoire québécois. Son plus récent essai s’intitule L’œil du maître: figures de l’imaginaire colonial québécois (Mémoire d’encrier, 2020).
Véronique Basile Hébert est une femme de théâtre atikamekw. Quand elle visite Montréal, Québec, Sherbrooke, Paris ou Buenos Aires, pour y porter sa parole et son art, elle descend le long de Tapiskwan Sipi, la rivière qui coud :
Partir sur la rivière Saint-Maurice en canot d’écorce, jusqu’à Trois-Rivières. Tourner à droite en attrapant le fleuve Saint-Laurent. Remonter le courant pour atteindre les Grands Lacs. Traverser le lac Ontario, le lac Érié, le lac Huron, le lac Michigan et fourcher à droite, woups! non à gauche pour attraper le fleuve Missouri ou continuer encore un peu vers le lac Supérieur puis joindre le lac Itasca, le lac à la tête du fleuve Mississippi qui traverse les États-Unis du Nord au Sud en coulant comme un grand serpent avant de se déverser dans le golfe du Mexique, en canot d’écorce (extrait de Notcimik, Là d’où vient notre sang).
Elle est originaire de Wemotaci, qui signifie « la montagne d’où on observe ». Portrait d’une créatrice qui voit loin.
Véronique Basile Hébert explique que dans son approche à la création, « le territoire ancestral est fédérateur de la culture atikamekw et de sa théâtralité ». C’est dans l’imaginaire atikamekw du territoire qu’elle puise les figures et les puissances mises en jeu dans son écriture et dans sa pratique théâtrale, le Notcimik (le bois, la forêt), tout en ancrant sa perspective dans le vécu résolument contemporain du Nitaskinan (le territoire traditionnel des Atikamekw).
Dans la présentation du projet Les mots n’existent pas, Véronique Basile Hébert affirme :
Je suis une femme qui ne savait pas vivre. J’étais une artiste qui ignorait sa parole. Je suis une autochtone qui a trouvé la terre. Les mots restent à exister dans toute leur ampleur. Des antidotes aux faussetés. Dans ma langue nouvelle je créerai une parole qui révèle la vie. Des mots veulent la vérité. Car les mots qui n’existent pas n’existent pas….
Que ce soient les trois sœurs de Feu des forêts, la Métusse de la pièce éponyme, ou encore la Wabana de Oka, les personnages créés par Véronique Basile Hébert révèlent la quête identitaire et politique qui anime la dramaturge, et actualisent la mémoire du territoire qui est le théâtre de cette quête, à cheval entre mythe et réalité.
Véronique Basile Hébert explique ainsi la nature initiatique de son travail de création :
J’ai terminé l’écriture de Métusse et commencé celle d’Oka alors que je commençais mon mémoire de maîtrise qui s’intitule « Le chamanisme chez Jovette Marchessault » et qui a été un véritable voyage initiatique. Ce premier projet de recherche m’a donné l’occasion de développer une méthode de création et de recherche basée sur une logique chamanique. Celle-ci implique une forme contemplative d’observation de la nature dans le but d’y découvrir des liens qui nourrissent ma création ou mes questions de recherche. Le théâtre est une façon de refaire le monde, de le voir sous d’autres angles et d’y découvrir des vérités cachées.
C’est à l’université d’Ottawa que j’ai d’abord pris connaissance du travail dramaturgique de Véronique Basile Hébert, lorsqu’elle a présenté en 2011, encadrée par Angela Konrad, la lecture du Feu des forêts (une interprétation atikamekw des Trois sœurs d’Anton Tchekhov, dont le premier titre retenu, hautement évocateur, était Feu le père). Dans ce texte, très puissant, précoce, on rencontre Babetsh, celle des trois sœurs qui incarne la révolte.
Babetsh dit la violence coloniale et patriarcale, et elle brise le silence. Elle le fait au prix de l’accablement de ses proches, qui ne veulent pas entendre ce qu’elle veut révéler. Elle prend néanmoins la parole, au risque de s’aliéner la famille. « Il y a longtemps que je le dis, explique Véronique Basile Hébert dans en entretien en 2017, nous autres, la génération d’après, on ne peut pas accuser des prêtres, des religieuses, des gouvernements. Ce sont des proches, des personnes significatives, qui sont allés dans les pensionnats puis qui nous ont fait du mal parce qu’ils ont été abusés là-bas ».
Véronique-Babetsh s’avance dans la lumière, plantée au centre de la scène, au cœur du territoire, droite et solide, le regard qui embrasse tout l’horizon continental. Elle dit ce qu’elle a à dire, et surtout qu’il y a à dire. Elle demande :
Comment prendre pour acquis, quelque chose qui vit? (temps) Moi, je vais partir à pied, dans le bois, remonter vers le nord, en ligne droite, sans me retourner, juste pour voir ce qui va m’arriver. Il va bien se passer de quoi, non? Remonter le territoire! Il va ben m’arriver de quoi. J’vais geler, j’vais rencontrer un ours ou ben une créature quelconque… Je vais crever de faim, j’vais continuer à marcher pis j’vais finir par entendre la voix des ancêtres, l’esprit de la forêt quekchose criss!
Remonter le territoire pour comprendre, pour qu’il se passe quelque chose, pour retrouver la voix des ancêtres. Prendre pour acquis ce qui vit, ce que l’on vit, ce dont on fait l’expérience, la souffrance, la mémoire, provoquer la réalité pour la rendre plus réelle. C’est le voyage initiatique, qui remonte aux sources de Notcimik et qui se porte jusqu’aux extrémités des Amériques.
L’enfant :
C’est quoi des mots qui n’existent pas?
La femme québécoise :
Ce sont des choses qui n’ont pas de prise sur la conscience.
L’enfant :
Ça veut dire que ces choses n’existent pas?
O :
Parfois des choses sont si naturelles qu’elles vont de soit avec la vie.
L’enfant :
Comme quoi?
La femme mexicaine :
Le soleil.
(extrait de Les mots qui n’existent pas)
Réfléchissant aux expériences de guérison communautaires vécues à travers son théâtre, Véronique Basile Hébert évoque une perspective globale, qui imprègne toute son action créatrice : « Peut-être que la culture atikamekw restera marquée, qu’elle sera une culture axée sur la guérison et la résilience. J’espère que les futures générations d’Atikamekw auront hérité des capacités de guérison qui pourront aider l’humanité tout entière. »
Véronique Basile Hébert écrit que « le théâtre est un acte de mémoire. C’est une façon d’apprendre et de comprendre la vie, la sienne, mais aussi celle des autres, par une pratique vivante, organique. J’y ai appris ma condition féminine. J’ai eu accès à mon corps et au territoire (corps-territoire) ». La dimension féminine de la réalité, et son articulation au territoire, sont au cœur de la vision créatrice de l’écrivaine et de la femme de théâtre. La parole des femmes est en elle-même une occupation du territoire :
Le retour à une occupation ancestrale du territoire par l’imaginaire et la littérature et donc la parole, ici féminine, est, selon moi, une continuité de l’occupation du territoire dans l’imaginaire et la pensée autochtones. Cette quête du territoire par la parole et le langage est comparable et simultanée à la quête de leurs pouvoirs ancestraux par les femmes.
Au lendemain de la première d’un spectacle qu’elle a créé dans le cadre de la Commémoration du pensionnat autochtone de Mashteuhiatsh en 2017, Véronique Basile Hébert explique l’importance de la présence des femmes au centre de l’art, et illustre cette réalité du corps-territoire actualisée par la parole des femmes :
Le fait d’être toutes des femmes renforce l’idée du tragique, de la précarité́, de la vulnérabilité́ parce que les femmes, les Autochtones, les enfants, les victimes n’ont pas de visibilité́. On le constate avec les milliers de femmes autochtones disparues ou assassinées. La distribution entièrement féminine s’est imposée naturellement. La présence même d’un seul homme aurait emporté et détourné sur lui toute l’attention car dans l’image, l’homme représente le pouvoir.
La créatrice, qui se présente en différentes instances comme « atikamekw et québécoise », m’explique, à la manière d’un positionnement de vie qu’elle revendique : « Je prends le nom de ma mère Basile maintenant. » Elle se définit volontiers comme féministe, tout en réfléchissant aux nuances que cette revendication peut prendre en contexte autochtone, et aux modulations complexes des différentes identités qui la traversent. Dans un entretien récent, elle dit :
Plus jeune, je pensais que les difficultés que je vivais étaient la conséquence de mon origine autochtone. Puis, dans la trentaine, j’ai découvert qu’elles étaient dues au fait que je suis une femme. J’ai donc mis du temps à devenir une femme, si je puis dire, une femme autochtone. Être femme et autochtone est doublement complexe, les deux réalités politiques se croisent. Les femmes constituent aussi une « minorité », en quelque sorte, et la sécurité personnelle et collective est au cœur de leur combat. Je suis ensuite devenue féministe, car on ne nait pas féministe, « on le devient ».
Les influences de Véronique Basile Hébert sont largement féministes et femmes. Il y a sa mère, Lucie Basile, dont elle explique qu’elle est « la première femme atikamekw à se présenter comme chef et aussi comme grande chef de la nation atikamekw », tout en précisant qu’elle « l’a fait pas pour gagner les élections mais pour montrer que les femmes aussi pouvaient et devaient se présenter aux élections ». Il y a Jovette Marchessault, dont l’animal tutélaire est l’essaim d’abeilles, une image que Véronique Basile Hébert a reprise dans Notcimik. Il y a Gloria Orenstein, une écoféministe américaine qui s’est intéressée au travail mal connu de Marchessault. Il y a Zoilamérica Ortega Durillo, survivante d’abus sexuels, nicaraguéenne et militante LQBTQ au Costa Rica. Il y a bell hooks, féministe afro-américaine bien connue. Et il y a la femme de théâtre Pol Pelletier, dont Véronique Basile Hébert dit qu’elle est « la femme splendeur qui m’a levée de ma souillure patriarcale pour me révéler à ma terre natale ».
C’est à l’invitation de Véronique Basile Hébert que j’ai pu voir Pol Pelletier sur scène, dans les Laurentides, interprétant son texte coup-de-poing La Robe blanche, où elle témoigne de manière cathartique de l’abus sexuel subi à l’âge de quatre ans aux mains d’un curé, avec la complicité passive de la famille. Parmi les différentes collaborations entre Véronique Basile Hébert et Pol Pelletier, le spectacle pour la Commémoration du pensionnat autochtone de Mashteuhiatsh exprime particulièrement leur communauté de colère, de pratique et de révolution poétique. Véronique rapporte en marge de ce spectacle les mots de Pol, qui dit que « c’est un crime contre l’humanité́, l’Église catholique, c’est une organisation criminelle », et Véronique ajoute que « c’est là qu’elle fait le plus grand apport, le plus grand geste de vérité ».
Dans cette continuité, Véronique Basile Hébert se rallie entièrement au cri de guerre et de survie de son personnage Métusse, qui découvre qu’elle est l’enfant d’Irène la chamane, une guérisseuse, et de la femme-terre Nicolère : « L’amour nous a liées, un amour qui te donna la vie. Mon vagin de roc rouge orangé sous son vagin de chair, toute ma force de vie est entrée en elle. » Cet amour de femme, premier, créateur s’élève dans toute sa puissance contre les forces policières, contre l’Église, contre le pouvoir phallocratique de la réserve.
Le prêtre :
D’ailleurs, Métusse, il faut arrêter de mettre le feu au cimetière.
Métusse :
On n’a pas de tondeuse.
(extrait de « Métusse »)
Métusse, agrippée au corps de sa grand-mère défunte que l’on veut enterrer dans le cimetière, s’élève contre les puissances de la « Tour », figure archétypique du patriarcat et du colonialisme. Cela évoque l’absurdité de la scène coloniale telle que Véronique Basile Hébert l’a mise en scène dans MatinSoir, qui ne manque pas de rappeler le personnage grotesque du Polichinelle dans Qu’as-tu fais de mon pays? de An Antan Kapesh. Le théâtre de Véronique Basile Hébert est un théâtre résolument politique, critique et mystique, dont la visée est transformatrice. Il y a un feu révolutionnaire qui y brûle.
Devant les mobilisations politiques autochtones actuelles, par exemple la mouvance Idle No More, Véronique Basile Hébert reste cependant prudente :
Selon moi, certains mouvements ou manifestations peuvent faire plus de mal que de bien, puisque leurs actions détournent l’attention des enjeux réels et parce qu’ils demeurent « virtuels ». J’ai l’impression, à tort j’espère, qu’une fois la manifestation terminée, les gens, y compris les Autochtones, rentrent à la maison en croyant avoir fait ce qu’il fallait, se sentent débarrassés de leur sentiment de culpabilité et retournent vivre dans le système de l’Autre. Si l’objectif se limite à la visibilité, mais sans actions concrètes, cela me semble politiquement et culturellement dangereux, on tombe dans le carnaval et on y reste. Personnellement, je participe rarement aux manifestations. Je préfère écrire. C’est ma façon de manifester. Ça reste. C’est plus engageant, aussi.
L’écriture, chez la dramaturge, est gardée au plus proche de la vie. Dans le projet théâtral Les mots qui n’existent pas, Véronique Basile Hébert recourt à un procédé de création qu’elle appelle les « textes spirales », « qui sont politisés et que je réécris chaque fois en fonction du lieu, de la date où je les présente et du contexte politique et sociale de l’événement. Je les présente avec ma fille Jasmyne souvent, Pol Pelletier et d’autres artistes ». Le texte est vivant, il s’inscrit dans une situation réelle, s’adapte au voyage, interpelle in situ. Et c’est une affaire collective. Véronique Basile Hébert explique que le titre de son projet de recherche doctorale est « Wasikahikan », ce qui signifie « faire une entaille sur un arbre comme point de repère en forêt et marquer son passage ». C’est la parole vivante qui marque le passage dans le territoire de l’âme.
La lutte politique passe donc par l’art, et notamment par le théâtre, qui est selon Véronique Basile Hébert une forme ancestrale de guérison. À propos du spectacle pour la Commémoration du pensionnat autochtone de Mashteuhiatsh, elle explique :
Dans la performance, les gens pouvaient adhérer à leur façon; ils pouvaient intervenir, se nommer. La catharsis, c’était d’exprimer les émotions et de les revivre afin de guérir et pouvoir avancer. Faire ceci en groupe nous renforce en nous unissant. Inconsciemment, cela m’unit à toi si tu me racontes quelque chose; et plus le groupe est nombreux, plus le groupe ressort renforcé d’un tel partage. C’est vrai aussi pour les individus. Nous sommes tous un peu plus forts après un spectacle de ce type. Nous sommes liés pour la vie, autant le spectateur que nous, les performeuses. C’est là qu’on parle de réconciliation. Nous n’avons pas adopté de forme conventionnelle, comme une production dans un théâtre avec des sièges assignés, mais misé plutôt sur l’évènement lui-même.
Il y a une dimension de happening dans cette pratique, Véronique Basile Hébert dirait que la représentation est un « rituel », et celui-ci se plie aux exigences impérieuses de l’humanité dans ses lieux concrets. La réconciliation prend le sens d’un lien créé dans le partage, dans la reconnaissance, dans la vulnérabilité vécus à travers le théâtre. Il faut beaucoup de courage pour soutenir une telle pratique, qui est engageante, périlleuse et imprévisible.
Quand elle parle du théâtre de guérison, qui est dédié aux communautés, la dramaturge, revenant sur sa dimension cathartique, explique que « si cela a fonctionné, c’est parce que j’ai rassemblé des gens qui sont avant tout des humains avant d’être des artistes, des performeuses. Nous n’avions pas titré le spectacle, ni distribué de dépliants ». La séparation de l’art et de la vie qui est la norme dans les pratiques occidentales est frontalement questionnée par la femme de théâtre.
Dans la présentation de Les mots qui n’existent pas, Véronique Basile Hébert s’adresse au public et demande : « Y a-t-il une justice pour les femmes et les enfants? » Elle demande encore : « Y-a-t-il une justice pour les animaux, les lacs et les forêts? » Et elle ajoute : « Y a –t-il une justice dans le milieu des arts? Y a –t-il une forme de violence entre les artistes? Et la liberté artistique, combien vaut-elle? Coûte-t-elle? » Pour la femme de théâtre atikamekw, née à La Macaza à l’époque du collègue Manitou que fréquentait sa mère, le fait que le « le théâtre autochtone soit subventionné, produit et diffusé surtout dans les centres urbains, au détriment des communautés autochtones […], prive les communautés des ressources pour les arts, puisqu’elles sont détournées vers les milieux urbains ». Il s’agit pour elle d’une forme de détournement de fonds : l’art autochtone est mis au service de la culture dominante, en étant représenté dans les festivals, dans les infrastructures urbaines, et exporté à l’international. Elle dit encore qu’un « point de vue anarcho-indigéniste sur les productions culturelles autochtones nous ferait réaliser que certaines libertés ne sont trop souvent accessibles qu’à ceux et celles qui possèdent des moyens financiers et organisationnels importants ».
Le pari de Véronique Basile Hébert est de s’opposer à ce mouvement, et de créer dans la communauté et pour la communauté : « C’est la raison pour laquelle je privilégie les populations autochtones et mon œuvre de recherche-création sera présentée prioritairement dans les communautés atikamekw. » Elle va plus loin, et interpelle les artistes et les créateurs qui souhaitent soutenir l’art autochtone à faire de l’industrie culturelle un lieu de mobilisation et de contestation concret des pouvoirs coloniaux :
Nous pourrions être solidaires avec les revendications politiques de l’Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador et des équipes de négociation des conseils de bande en faisant pression sur les diffuseurs, et même envisager un boycott de festivals, milieux touristiques, événements gouvernementaux, fête du Canada, fête du Québec, cérémonies officielles et diplomatiques, etc.
Il y va dans le travail de l’artiste d’un positionnement politique très engageant et exigeant : ce sont des humains dans leurs vraies vies qui ont besoin d’art, qui font de l’art, qui se servent de l’art pour occuper le territoire, entretenir la mémoire, dire la vérité, habiter le présent, se guérir, rêver d’alliances : « Je pense que c’est ça, de revivre avec les autres en premier, de refaire le groupe. Tu sais, comme dans la définition “l’empêcher de fonctionner en tant que groupe”. Je pense que c’est ça, qu’il faut réapprendre à fonctionner en tant que groupe. »
Comme l’a dit César Nawashish dans son dernier souffle, paroles reprises par Véronique Basile Hébert dans « Notcimik » : « Dites-leur que nous n’avons rien cédé. »
C’est d’alliances que rêve l’art enraciné de Véronique Basile Hébert, qui dans Oka et dans Les mots qui n’existent pas invoque et active les liens possible dans toutes les Amériques, cette Île de la Grande Tortue dont parlait déjà Georges Sioui dans les années 1980 : le Québec, le Mexique, le Chiapas, les Atikamekw, les Hurons, les enfants, les Innus, les Abénakis, les Zapatistes, les Anishinabeg, les Irish, la Jamaïque, le Costa Rica, El salvador, le Honduras, le Guatemala, la Terre de feu, l’Argentine, le Chili, le Brésil, la Colombie, le Paraguay, la Guyanne, le Pérou, l’Uruguay, l’Équateur, les Bahamas, les États-Unis d’Amérique, Cuba, Haiti, le Belize, « les pays de l’Amérique », et à travers ceux-ci, toujours au centre, les femmes.
Lors de la crise d’Oka en 1990, Véronique-Wabana (« la femme-aube ») a 14 ans, elle sent quelque chose : « La crise d’Oka est une réaction à la tuerie de la Polytechnique [en 1989]. Inconsciemment, les Mohawks ont réagi au massacre de 14 jeunes femmes, parce qu’ils sont une société matriarcale pis c’est les plus grands bâtisseurs de gratte-ciels et de structures d’acier. Des femmes ingénieures, des guerriers bâtisseurs. » Et la révolte zapatiste au Chiapas en 1994, comme par une vague révolutionnaire qui traverse le continent, ferait écho à la lutte des Warriors Kenienké:hàka.
Le travail de Véronique Basile Hébert sans relâche « dresse un pont entre les révolutions », et dans sa vision ce sont toutes les Amériques qui se révoltent, dans toutes les langues coloniales, et dans les 400 langues autochtones, avec tous leurs mots qui existent et tous leurs mots qui n’existent pas. Elle dessine un arc évènementiel dressé entre la Grande paix de Montréal de 1701 et la réitération de la souveraineté atikamekw en 2014, alors que « Queltzalcoatl, le serpent à plumes… Queltzalcoatl, le dieu toltèque… aztèque… (je ne m’en souviens plus) mais le Queltzalcoatl, avec son grand corps de serpent à plumes, s’est enroulé tout le long de nos colonnes vertébrales », et où la rivière qui coud, qui traverse le Nitaskinan et qui remonte vers Notcimik, participe de la puissance tellurique de ce symbole de renaissance :
Tous nos morts sont encore ici, mais ils vont maintenant être entendus. Le sang de nos ancêtres coule dans le territoire et nous devons l’honorer. Les barrages des rivières ont cédé. Les rivières sont de nouveaux libres et le serpent aussi. Tout le territoire est réveillé. Il se dresse debout appuyé sur l’ouragan qui lève toutes les barrières du temps.
Il y a une grande secousse continentale dont les vibrations se manifestent dans le théâtre de Véronique Basile Hébert, qui, en cousine atikamekw d’Antigone, lance à la face de tous les pouvoirs : « Sortez-moi d’ici sinon je déterre tous les morts pis je mélange tous leurs os. » Et elle enchaîne, dans un chant vital :
Allez dire à l’Empereur de la Tour qu’il y a maintenant une brèche à ses pieds. Dites-lui qu’une armée d’ancêtres va bientôt retourner dans le territoire et que l’heure de la libération a sonné. […]
Wemotaci, Wendake, Chisasibi, Kipawa, Akwesasne, Gesgapegiag, Kitigan Zibi, Maliotenam, Odanak, Wikwemikong, Wabaseemoong, Wuskwi Sipihk, Assiniboine, Zama Lake, Ah-we-cha-ol- to, Inuvik, Nisutlin.
(Le bruit du feu se fait de plus en plus fort à mesure qu’elle prononce les noms de réserves.)
Levons-nous.