La dimension cachée, c’est celle du territoire de tout être vivant, animal ou humain, de l’espace nécessaire à son équilibre. Mais chez l’homme, cette dimension devient culturelle. Ainsi chaque civilisation a sa manière de concevoir […] les frontières de l’intimité.
De l’espace qui m’habite,
la place que je laisse à l’autre est somme toute brisée.
Je ne peux me connecter à toi au fil déroulant de tes publications Instagram.
La nature des choses n’est pas accessible via un post de Patagonia,
je n’ai pas accès à la montagne au travers l’écran de mon chromecast.
Il est impossible de traiter de proxémie sans tout d’abord aborder les grands concepts de l’anthropologue américain Edward T. Hall. Ce penseur nous à permis de mettre, pour une première fois, des divisions claires à cette notion de prime abord très humaine. Cette subdivision est intrinsèquement liée à l’antonyme de proxémie, soit distance. En effet, Hall traite de la distance publique, sociale, personnelle et finalement intime. En mettant au centre de ses réflexions une étude de la perception et de l’usage que l’homme entretient avec la spatialité, il nous permet d’appréhender le fait que ce concept de distance s’inscrive en dehors du champs de la conscience. Et que sa structuration, se rapportant au temps et à l’espace, soit principalement une forme embryonnaire de communication. Penseur influent, Edward T. Hall fut très important dans ce que nous nommons aujourd’hui les sciences de l’information et de la communication. À notre époque, et plus que jamais aujourd’hui, nous sommes conscients de la puissance des langages et des outils de communication, de ce qu’il est possible de faire avec ce concept autant pour rapprocher que pour éloigner. Mais que contrôlons-nous vraiment ?
Nous parlons ici d’éléments centraux cristallisés par des échanges physiques, verbaux ou conceptuels avec le tout qui nous entoure. Partant de ce constat, il est évident que l’homme et son environnement interagissent. Les différences de proximités sont notoires et peuvent être imaginées aisément par l’idée des bulles. Mais tout comme la performance en arts vivants au centre d’une foule, ou le sentiment de collégialité développé avec l’acteur au travers l’écran de cinéma, la nature des choses nous pousse à analyser ces paradigmes selon un code précis qui nous oriente soit vers le proche, soit vers le lointain. Comment être si proche en regard d’une photographie provenant d’un temps et d’un espace qui me sont étrangers, et paradoxalement avoir le sentiment d’être en suspension dans l’éternité d’un trou noir au contact de ma famille lors d’une soirée de jour de l’an ? Notre identité, et donc notre réalité, après cette introspection dans l’archéologie du soi, organise cet espace à partir d’un substrat que l’on pourrait nommer le territoire. Notre territoire ou notre bulle, comme il est convenu de le décrire ces temps-ci.
Il nous arrive à tous de ne plus réussir à partager l’expérience de ce territoire personnel tant le réel ressemble parfois à une fiction. Ainsi, des espaces virtuels limités émergent, par le biais du marketing, de la vidéo et de la photographie ; nous sommes aspirés par l’impression de proximité avec cet objet digne d’intérêt qui nous éloigne pourtant de notre but premier.
Mais qui s’occupe de cette gestion des individus, de leurs espaces et des distances entre les personnes ou les infrastructures numériques qu’ils investissent du bout des doigts à chaque minute ? Il est évident que tout ça s’inscrit en droite ligne dans le processus de la communication, mais nous pouvons désormais affirmer avec certitude que la puissance des langages est affaire de culture et de perception et que cette communication, peu importe sa nature, est au cœur du concept de proxémie. Si certains artistes savent en tirer de grandes choses et les exprimer dans leurs œuvres, ils ne sont certainement pas les seuls à en connaître les rouages. Et bien qu’ils en soient conscients, ont-ils vraiment le contrôle sur ce qui souvent nous dépasse tous ?
Pour ma part, l’effet boomerang de cette distanciation de mes bulles, perçue et/ou vécue, se traduit pas une impression de mélancolie permanente. Un sentiment d’automne en continu qui n’affecte pas ma volonté de connecter mes bulles aux autres hominidés, mais se reflète par une envie de créer des images et des sons contrastés. Cesser de l’admirer au travers la transcendance des filtres, et produire ma propre représentation formelle et expérimentée d’une nature altérée par la conscience de vivre à une époque trouble qui, ma foi, devra bientôt être acceptée comme étant notre nouvelle réalité.