Humour et anthropomorphisme
Concombre devenu cornichon, le pickle n’est donc qu’un mariné impuissant, figé. Dénué d’agentivité, il est le produit des transformations qu’on lui impose, dépendant. L’effet engendré par l’œuvre agit ainsi comme une lunette dystopique sur la société, traduisant un risque d’existence purement utilitaire, statique.
Or, sans basculer vers le pessimisme, l’installation joue plutôt avec la représentation de la nourriture pour penser la condition humaine avec humour, afin que la marinade soit celle d’une société en changement, non passive ou homogène. Devenue le porte-étendard d’une danse mi-aquatique, mi-aérienne, la gourmandise d’apéro est, grâce à l’installation dans laquelle elle évolue, une figure d’hybridité.
[…] il existe une gestalt de l’objet de lecture dans laquelle la nourriture, le comestible, est partie prenante. La nourriture peut y occuper plusieurs positions, soit celle de contenant, de support, de contenu ou de référence.
Dans son article La Faim de lire, littéralement, Vivian Labrie propose une thèse selon laquelle l’aliment peut être abordé « […] comme un objet porteur d’un sens qui peut dépasser la stricte fonction de l’alimentation biologique ». La nourriture, d’après elle, se consomme comme la littérature, et vice-versa. Si l’ingestion du message n’est pas faite par consommation directe, les cornichons du trio d’artistes se font porte-paroles d’un effet de sens artistique.
« […] il existe une gestalt de l’objet de lecture dans laquelle la nourriture, le comestible, est partie prenante. La nourriture peut y occuper plusieurs positions, soit celle de contenant, de support, de contenu ou de référence. » C’est ce qui se produit sur le plan conceptuel avec Marinade, par la cohérence entre l’art visuel et le monde alimentaire, périssable.
Déplacés hors du contexte qu’on lui connaît habituellement, la gourmandise d’apéro acquiert un statut nouveau : l’installation en fait une figure d’hybridité, alors qu’elle est catapultée au cœur d’une expérience multisensorielle. Un changement de posture est engendré : la chair devient nourricière par la métaphore, elle échappe à l’ingestion, mais jamais à la désinfection violente du vinaigre. Toute cette mise en acte donne au spectateur une vision presque anthropomorphique du cornichon. La lenteur de la déambulation, sans autre but que de servir un effet de tension entre pourriture et conservation, s’inscrit dans la pratique de Pierre-Olivier Déry et Gabrielle Turbide, toutes deux caractérisées par la mise en scène d’objets du quotidien, selon une logique de répétition.
Microcosme contrôlé, l’installation est par ailleurs le miroir d’une réflexion à plus grand rayonnement, sur les mécanismes qui peuvent parfois alimenter une certaine torpeur, individuelle ou collective. La nourriture, au-delà du simple principe d’apport nutritif, a aussi des propriétés réflexives, introspectives, qu’il convient d’explorer afin de méditer sur notre propre posture, nos biais et nos habitudes.
Dans quelle marinade sommes-nous trempés ?