L’art de roger gaudreau

Par Zone Occupée

Laurie Boivin

Médiatrice culturelle au centre d’art actuel Bang depuis 2015, Laurie Boivin a obtenu un baccalauréat en études cinématographiques ainsi qu’un diplôme de deuxième cycle en enseignement postsecondaire de l’Université de Montréal. Elle est également titulaire d’une maîtrise en cinéma de l’Université Concordia. Ses études l’ont amenée à effectuer différents stages de perfectionnement, notamment en Arts et Technologies Informatisées au Collège d’Alma et, plus récemment, à l’École Supérieure d’Arts Visuels de Marrakech. Elle a aussi siégé sur le conseil d’administration du centre d’artistes Langage Plus.

QUELQUES REPÈRES POUR PLONGER DANS L’ŒUVRE[1]

QU’ENTEND-ON PAR REGARDER UNE ŒUVRE ? COMMENT POUVONS-NOUS ALLER AU-DELÀ DE NOS PREMIÈRES IMPRESSIONS ? POURQUOI LES GENS LA CONSIDÈRENT-ILS COMME INTÉRESSANTE ? CE SONT LÀ DES QUESTIONS LÉGITIMES À SE POSER POUR TOUT AMATEUR D’ART.

Ici, nous regroupons ces questions dans une séquence intégrant trois actions de base : regarder, questionner et apprécier. Ces étapes tracent un chemin convivial vers la rencontre d’un travail artistique.

Roger Gaudreau est né à Rimouski et vit maintenant à Shawinigan. Il a complété un baccalauréat en arts à l’Université du Québec à Trois-Rivières ainsi qu’une maîtrise en arts à l’Université du Québec à Montréal. Suite à son baccalauréat, il a effectué un stage de sculpture de plusieurs mois en Italie. Ce voyage a marqué profondément sa pratique artistique. Il a réalisé plus d’une trentaine d’œuvres d’art public tant au Canada, en Finlande, en Australie qu’en Asie. Au cours des années, il a pris part à de nombreuses expositions collectives et individuelles ainsi qu’à des symposiums et résidences en Asie et en Europe. Il est le récipiendaire de nombreux prix et bourses dont ceux remis par le Conseil des arts et lettres du Québec et l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il s’est également impliqué dans la communauté artistique comme vice-président du regroupement international Artists in Nature International Network, en 2000, et y siège à titre de président depuis 2012. Il est un des membres fondateurs de l’Atelier Silex à Trois-Rivières où il préside la Biennale de sculpture contemporaine depuis 2017. En plus de sa carrière artistique, cet artiste a notamment enseigné à l’Université du Québec à Chicoutimi et est chargé de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 1984.

QUELQUES REPÈRES POUR APPROCHER L’ŒUVRE

REGARDER

Prenez le temps qui vous convient pour bien examiner tous les détails de l’œuvre Traverses. Vous pouvez passer d’une composante sculpturale à l’autre pour les comparer entre elles et identifier les éléments qui font de l’ensemble des pièces un tout harmonieux. Émettez ainsi vos premières impressions sur l’œuvre et les hypothèses sur sa signification.

VOICI QUELQUES ÉLÉMENTS QUI CARACTÉRISENT L’ŒUVRE

 

1.Une sculpture aux formes simplifiées ;
2.Un assemblage de différentes matières ;
3.Une palette de couleurs naturelles ;
4.Une structure ancrée dans un terrain en pente ;
5.Plusieurs angles de vue possibles pour l’admirer.

 

QUESTIONS

La sculpture de Roger Gaudreau présente plusieurs caractéristiques intrigantes : qu’est-ce que l’artiste représente dans cette œuvre  ? Son titre nous apporte-t-il des indices supplémentaires ? Quelles sont les techniques employées pour la produire ? Voici quelques informations qui vous aideront à mieux identifier les éléments figuratifs et thématiques ainsi que les méthodes utilisées pour la réaliser. Elles vous permettront également d’approfondir votre réflexion et d’élaborer une opinion plus précise sur cette création.

RESSOURCES LOCALES

Le Fruit utopique (2009) est une œuvre réfléchie en fonction de son environnement. Composée d’aluminium et de granite, cette sculpture est le produit de ressources qui ont façonné l’histoire de la population régionale. Roger Gaudreau le sait pour y avoir vécu, étudié et enseigné pendant quelques années et ses choix de matériaux reflètent l’idée utopique qu’il laisse sur le territoire. La transformation de la bauxite en aluminium demande beaucoup d’énergie, c’est pourquoi le Saguenay–Lac-Saint-Jean est convoité par les investisseurs américains dès le début du 20e siècle pour son haut potentiel hydroélectrique. Dans les années 1920, la construction de la centrale d’Isle-Maligne à Alma et celle de l’usine d’Arvida permettent à la région d’entrer dans l’ère industrielle. En seulement une décennie, la population almatoise quadruple et la municipalité d’Arvida voit le jour avec plus d’une centaine de maisons érigées la même année pour loger les travailleurs[2]. La production de l’aluminium nécessite la mise sur pied de nombreuses infrastructures, plusieurs étapes de transformations chimiques en plus du long transport de la matière première, la bauxite, en provenance d’un peu partout dans le monde. On constate aujourd’hui que cette matière, bien qu’ayant des propriétés exceptionnelles, possède une lourde empreinte écologique et des initiatives doivent être mises en place pour la réduire. Cette situation est bien différente pour le granite employé dans la sculpture de Roger Gaudreau. En effet, cette pierre est extraite directement des carrières à ciel ouvert des environs, par exemple celle de Saint-Gédéon, et exige peu de transformation avant usage. Son accessibilité en fait donc une ressource de choix pour la construction des églises de la région dès la fin du 19e siècle.

L’aluminium et le granite du Fruit utopique ont alors un solide ancrage dans les annales locales, puisqu’ils sont les symboles de l’extension économique et du patrimoine bâti et religieux de la région. Pour Roger Gaudreau, l’amalgame de ces deux matériaux est un moyen de réfléchir sur le fragile équilibre entre l’industriel et le naturel, les matières premières transformées et brutes et les ressources étrangères et locales. Sur la Place du Marché à Alma, cette imposante sculpture de métal nous rappelle qu’un nouveau fruit peut être créé à partir d’éléments contraires.

Connaissez-vous des œuvres d’art public aussi bien implantées dans leur environnement comme celle de Roger Gaudreau  ? Si oui, comment témoignent-elles de l’histoire de ce territoire  ? Quel message transmettent-elles à la population locale  ?

HISTOIRE DE LA SCULPTURE

Durant les années 1980, Roger Gaudreau a eu la chance de faire un stage de sculpture en Italie au cours duquel il a perfectionné ses compétences et eu l’occasion d’admirer les chefs-d’œuvre du passé. Installé dans la province de Massa et Carrare en Toscane, aussi nommée la vallée du marbre, il a travaillé cette matière et en a apprit davantage sur les techniques de sculpture sur pierre. Ses séjours à Florence, berceau de la Renaissance, lui auront également permis d’entrer en contact avec des œuvres d’importance, dont le célèbre David de Michelange. De retour au Québec, l’artiste s’est alors questionné sur sa propre pratique et sur comment son travail peut s’inscrire dans l’histoire de l’art. Il a alors privilégié la technique de la soustraction pour produire bon nombre de ses œuvres publiques. Comme le faisaient des générations de sculpteurs avant lui, il commence avec un bloc brut et, lentement, en retirant la matière couche par couche, il fait apparaître les formes simples de sa création. À cette technique millénaire, il joint des méthodes plus contemporaines ainsi que de nouveaux matériaux pour réaliser des compositions inédites. Dans l’œuvre Je vous ai apporté des bonbons (2014) installée à l’extérieur du CLSC de Sainte-Anne-de-Pérade, il réunit l’aluminium, le verre dépoli et plusieurs types de granite pour reproduire à la perfection un gigantesque bol de friandises[3]. Dans le Fruit utopique, il utilise l’aluminium meulé au fini presque délavé pour établir un contraste avec les boutons de granite poli. Il est aussi important, pour le créateur, de faire ressortir la couleur naturelle de la matière, à la manière des statues anciennes où la beauté et la qualité du marbre sont mises de l’avant. Il n’emploie que de petites pièces de granite pour produire les nombreuses teintes sur la surface du fruit. La matière est alors laissée intacte. Cette œuvre est donc bien enracinée dans le patrimoine culturel de la sculpture occidentale tout en présentant un savoir-faire et une réflexion très actuels.

Dans cette idée de continuité avec l’histoire de l’art, pouvez-vous trouver des parentés entre certaines sculptures du passé et celle de Roger Gaudreau   ? Si oui, quelles sont-elles et quelles caractéristiques ont-elles en commun   ?

HISTOIRE DE LA PIERRE

Cette importance accordée au temps et à la durée dans la pratique artistique de Roger Gaudreau se manifeste aussi dans le choix des matériaux employés dans ses créations. Bien qu’il ait travaillé le bois, le verre, l’ivoire et beaucoup d’autres matières, on constate la récurrence du métal et des pierres naturelles dans l’ensemble de son œuvre. Fasciné par leur aspect intemporel, c’est avec humilité que l’artiste sculpte ces pierres qui ont des millions d’années, qui ont vu l’évolution de l’humain à travers les siècles et qui seront témoins de son avenir. Le granite est l’une de ces matières de prédilection à cause de son accessibilité, sa durabilité et ses qualités esthétiques. En effet, on dénombre des centaines de couleurs de cette pierre dans le monde. Au Québec, ce sont surtout neuf teintes qui sont observées : le blanc, le bleu, le brun, le gris, le rose, le vert, le noir et le violet[4]. À lui seul, le granite possède une palette suffisante pour créer des sculptures autant colorées que contrastées. Comme le marbre, il possède des sillons qui font varier son apparence. Ses rayures composées de quartz réfléchissent la lumière et produisent des effets de profondeur à l’intérieur de la roche. Suite à l’érosion des sols, il apparaît à la surface d’où il peut ainsi facilement être extrait. Il se taille également aisément, contrairement au marbre qui demande beaucoup plus de technique et d’efforts[5]. C’est pourquoi l’on retrouve des pièces de granite datant d’aussi loin que de 5 000 ans av. J.-C. dans certains sites archéologiques d’Europe[6]. Cela en fait la matière tout indiquée pour permettre à l’artiste d’évoquer le temps et la durée dans ses réalisations esthétiques.

Maintenant que vous en savez davantage sur le granite, pouvez-vous identifier d’autres sculptures fabriquées avec cette pierre ? Quels sont les usages de cette matière en dehors du domaine artistique ? Comment cette roche fait-elle partie de notre vie quotidienne   ?

 

TRUCS PRATIQUES

UNE QUESTION DE TECHNIQUE

Quelles techniques Roger Gaudreau a-t-il employées pour réaliser Fruit utopique ?

Il est d’emblée intéressant de savoir que la sculpture n’a pas été modulée d’un coup mais façonnée lentement pièce par pièce. Le sculpteur a d’abord fait couler des bases de béton à flanc de colline afin de pouvoir bien ancrer l’œuvre au sol. Sa structure est constituée de cerceaux d’aluminium qui s’organisent sur trois axes (hauteur, longueur et largeur) pour créer un squelette de forme organique. La même technique a également été utilisée pour la construction du pied et de la tige arquée du fruit. La structure complétée, l’artiste a alors assemblé des plaques d’aluminium préalablement taillées sur l’ossature de métal. Elles ont ensuite été meulées pour faire disparaître toute trace de soudure et produire une surface lisse. Il a enfin fixé la sculpture sur les bases de béton. Avec cette technique, l’œuvre demeure donc vide à l’intérieur et est relativement légère considérant le volume qu’elle occupe dans l’espace. Il est ainsi plus facile de la maintenir au niveau du sol comme si l’étrange fruit venait tout juste de tomber d’un immense arbre métallique.

Les boutons de granite polis sont enfin insérés dans les écrins d’aluminium et fixés à l’aide d’une colle très puissante qui peut résister aux intempéries. Ce procédé ressemble beaucoup à celui employé en joaillerie pour sertir une pierre précieuse sur une bague. Cette dernière intervention met donc la touche finale à la sculpture qui trône près de la Place du Marché à Alma.

APPRÉCIER

Que ressentez-vous en vous plongeant dans le travail de Roger Gaudreau ? Cette création vous interpelle-t-elle davantage maintenant ? Qu’en retenez-vous ? Vos interprétations de départ se sont-elles transformées ? Si oui, comment ? Comprenez-vous mieux cette pratique artistique à présent ?

Apprécier une œuvre ne signifie pas nécessairement l’aimer, mais vous permet d’élaborer votre interprétation en dépassant le «   j’aime   » ou «   je n’aime pas   ». Une meilleure compréhension de la vision de l’artiste et une prise en compte des éléments narratifs aident à l’aborder plus en profondeur. C’est le moment de faire une synthèse de vos perceptions et de construire votre propre lecture.

Des questions pour lesquelles vous aimeriez lire ou entendre nos réponses ? Contactez la rédaction de la revue Zone Occupée afin de partager votre point de vue ou simplement lui faire part de votre appréciation.

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[1] Inspiré de Repère, petit guide pour regarder, questionner et apprécier l’art contemporain (2016).

[2] Alma : https://thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/alma

[3] Je vous ai apporté des bonbons : https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/gscw031?owa_no_site=6192&owa_no_fiche=48&owa_bottin=

[4] Granite : https://mern.gouv.qc.ca/mines/industrie/architecturale/architecturale-exploitation-substances-granite.jsp

[5] Granite : Idem

[6] Granite : https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/structure-terre-granite-4558/

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