Comme la plupart d’entre nous, je suis fort concerné par l’amplitude des bouleversements qui menacent sérieusement notre planète. Premièrement, la vénération du Dieu Pétrole a causé une pollution atmosphérique sans précédent et l’émergence d’un effet de serre autour du globe. Ceci a mené à un réchauffement climatique suivi de drames épouvantables tels que la sécheresse, les feux de forêts intenses, les inondations, la météo extrême et des modifications majeures aux habitats naturels qui ne cessent de s’amplifier. Ensuite, la surexploitation des ressources résulte en la diminution dramatique des stocks de poissons dans les océans et des espèces animales et végétales dans les forêts et les jungles. Il existe aussi la course aux armements, les guerres, le terrorisme, les mafias et l’injustice sociale, tous basés sur cette erronée ligne directrice axée sur l’argent et le pouvoir. Quand on ajoute à cela des catastrophes naturelles telles que des pandémies, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre et des tsunamis, il est normal de se demander si la survie de l’espèce humaine elle-même est en jeu. C’est ainsi que j’ai voulu voir si les principes de survie en forêt pouvaient aider à porter lumière sur la survie de l’humanité.
À la base, la capacité de survivre peux être représentée par une balance qui met en contrepartie les obstacles à vaincre d’un côté et les ressources pour leur faire face de l’autre (voir figure 1). On remarque que les divers stress physiques et psychologiques composent les difficultés tandis que les ressources matérielles et les facteurs humains, plus un peu de chance parfois, sont les solutions. Évidemment, on ne se retrouverait jamais dans une situation de survie si on n’outrepassait pas les mesures de prévention, c’est pourquoi le diagramme met un X sur ce mot. Autour du monde, aujourd’hui, il est malheureusement évident que la course à la richesse individualiste a détrôné tout effort de prévention. Nous voilà donc en état de survie.
Examinons de plus près la balance de la survie à l’échelle planétaire. Les stress physiques sont immenses pour des millions d’êtres humains qui luttent à tous les jours pour obtenir eau et subsistance. Des millions d’autres individus dans des pays plus riches souffrent de maladies causées par l’obésité ou la dépendance importante au tabac, à l’alcool ou aux drogues illicites. Parmi les autres fléaux qui attaquent l’humain, on note la malaria causée par les maringouins ou la maladie de Lyme causée par les tiques, sans parler des virus pandémiques. Au plan du stress psychologique, c’est encore pire car les tragédies et conflits alimentent sans cesse les nouvelles, menant trop souvent à la stupeur et la perte d’espoir.
Par contre, les ressources planétaires sont toujours au rendez-vous pour faire face. La nature est d’une générosité extrême grâce au soleil qui renouvèle quotidiennement l’énergie, accessible via la photosynthèse. Heureusement, l’ingéniosité humaine a créé du matériel et de l’équipement incroyable pour harnacher cette énergie via l’agriculture. En survie, c’est ce genre de connaissances techniques qui priment, et la possibilité récente de partager les découvertes instantanément autour du globe est un atout qui fait la différence et donne de l’optimisme. Pour les autres facteurs humains qui contrebalancent les difficultés, sur le plan physique, la science de la nutrition et la promotion de l’exercice en plein air répondent généralement aux besoins, même si notre robustesse laisse à désirer.
Ensuite, les domaines de la psychologie et de la philosophie s’attardent aux problématiques de santé mentale et supportent les gens atteints, autre point positif.
À mon avis, tout comme en survie en forêt, ce sont surtout les processus décisionnels qui font défaut autour de la terre. Ce sont les mauvaises décisions qui font périr les gens en forêt. On prend des risques inutiles et on se noie en traversant un cours d’eau, on tombe en grimpant une falaise, on passe à travers la glace mince. Selon ce que j’ai observé en complétant un tour du monde en 2018, c’est globalement la même chose dans tous les pays – les décisions sont prises en étant motivées politiquement ou par quête de richesse ou de pouvoir individuel plutôt que pour le bien-être fondamental des humains.
Pour favoriser la bonne prise de décision lors d’épreuves de survie en forêt, j’ai développé avec mes collègues de l’UQAC le modèle SÉRA, un acronyme pour (S)ecours, (É)nergie, (R)isques et (A)touts.
Je crois qu’il pourrait bien servir à orienter les décideurs planétaires. J’explique.
La règle de base pour survivre en forêt est de toujours réfléchir au « Bilan SÉRA » avant toute action. Quel effet l’action que je m’apprête à faire aura-t-elle sur mes chances de recevoir du secours, sur mon niveau d’énergie, sur les risques encourus et sur les atouts que je possède déjà? Par exemple, disons que je suis perdu en forêt au bord d’un lac et que je pense gravir la montagne pour tenter d’apercevoir au loin un indice pour me retrouver. Je pourrais simplement procéder aveuglément à l’ascension pour combler mon besoin personnel de jouer au héros, pour flatter mon orgueil ou pour prouver aux autres que je suis capable de me débrouiller seul, mais ce serait probablement une erreur. Car en soupesant le « Bilan SÉRA », on se rend compte que les possibilités de (S)ecours seraient amoindries (présentement un avion me verrait sur les abords du lac où je me trouve mais ne me distinguerait point sous les arbres de la forêt, une fois en marche); une bonne partie de mon (É)nergie vitale serait gaspillée; je prendrais les (R)isques de me tordre une cheville, de recevoir une branche dans l’œil, de me perdre davantage; et, alors que j’ai présentement de beaux vêtements neufs et des souliers secs, ces (A)touts deviendraient mouillés par la rosée et possiblement déchirés par les ronces.
Quels changements pour l’humanité auraient lieu si les décideurs planétaires réfléchissaient à l’aide du « Bilan SÉRA »? Pour examiner cela, il faut avant tout définir le rôle d’un leader. En plein air, nous considérons que les rôles et responsabilités d’un bon dirigeant sont d’aider le groupe à atteindre ses objectifs en toute sécurité. Tout comme le célèbre explorateur Ernest Shackleton a travaillé corps et âme en 1914 à sauver ses hommes d’une mort certaine dans l’Antarctique, de bons leaders planétaires viseraient à améliorer le sort de tous les humains. Ainsi, notre première tâche globale serait d’élire des représentants qui veulent vraiment faire une différence et dont la priorité n’est pas le protectionnisme mais plutôt l’entraide entre tous les pays. À bas les dictateurs, tyrans, despotes et régimes autoritaires. À bas les politiciens qui ne veulent que protéger leur « job ». Vive les organismes mondiaux qui prônent la paix, le partage et la justice.
En supposant pour un instant un leadership sain, qu’est-ce que les éléments du modèle SÉRA nous démontrent comme trajet décisionnel? Pensons (S)ecours. Serait-il raisonnable de rencontrer quelqu’un perdu en forêt qui crève de faim et le laisser dans sa misère? Impossible! Alors pourquoi abandonner à leur sort des millions de personnes réelles, au potentiel égal au nôtre, qui n’ont ni accès à l’eau potable, ni à la nourriture à leur faim, ni aux soins de santé de base, ni à un toit sur leur tête, ni à la moindre éducation? Parce qu’ils ont eu la malchance de naître dans des pays pauvres et lointains? Il me semble qu’il serait honnête et juste, voire humain, de simplement permettre à ces gens de « sortir du bois » en leur allouant les mêmes droits et la même dignité que nous.
En situation de survie en forêt ou en mer, si on établit une efficace stratégie de signalisation, on attire les chances d’être secouru.
Sur la planète terre, malheureusement, il est illusoire de croire que le secours viendra d’ailleurs. Les aventures intra-planétaires de la science-fiction, justement, sont de la fiction. Afin de se rendre à l’étoile la plus proche de la terre (Proxima Centuri) à la vitesse du vaisseau spatial qui s’est récemment rendu sur mars, soit 40 000 km/h, ça prendrait 114 555 années! Il faut donc forcément concéder que nous sommes bel et bien limités aux ressources de notre petite planète pour survivre.
Sur le plan de l’(É)nergie, l’objectif en survie en forêt est de travailler au ralenti, de façon réfléchie, afin de minimiser la dépense de calories. En même temps, il faut tenter de renouveler cette énergie en trouvant eau, nourriture et sommeil. De façon planétaire, puisque les ressources énergétiques pétrolières sont limitées et néfastes, il apparaît évident qu’il faut là aussi s’arrêter et réfléchir, du moins en minimiser l’utilisation. Bravo aux efforts de réduction, réutilisation et recyclage. Pour la nourriture, on en produit facilement et en quantité suffisante pour tous les habitants de la planète, si on voulait bien la distribuer équitablement.
Examinons maintenant le facteur (R)isques. Tout comme lors d’expéditions en plein air, la première responsabilité d’un leader planétaire devrait être d’assurer la sécurité de ses peuples. Au niveau des catastrophes naturelles, on peut observer des efforts louables. Mais la pire menace affectant la sécurité autour du monde s’avère être celle des guerres et des conflits. Si on réduit la bombe atomique qui a totalement anéanti la ville d’Hiroshima à la grosseur du point à la fin de cette phrase, en comparaison une bombe nucléaire moderne remplit la page au complet. Il existe présentement plus de 10 000 de ces engins de destruction! C’est l’astrophysicien Carl Sagan qui a le mieux imagé la situation actuelle : deux ennemis dans un local plein de gaz jusqu’aux genoux, qui s’obstinent à savoir lequel possède le plus d’allumettes.
Pourtant, la solution théorique est simple. Presque tous les conflits sont générés par l’injustice. Tout comme il n’y a pas de guerre entre la Saskatchewan et le Manitoba, il n’y aurait aucune raison de bataille mortelle si tous profitaient à peu près des mêmes niveaux de vie et opportunités. Avec une fraction des dépenses utilisées annuellement pour la course aux armements, une solide gouvernance mondiale saurait rayer de la carte les souffrances humaines, en instaurant un système universel planétaire de soins de base et d’éducation, ce qui laisserait place à la paix. La première étape envers la sécurité mondiale serait d’éliminer une fois pour toutes les horreurs de la guerre en commençant par le désarmement obligatoire.
L’autre injustice planétaire qui cause conflit est la concentration de la richesse parmi une poignée d’individus. Par mille subterfuges, les cent personnes les plus riches du monde ont réussi à obtenir une plus grande part du gâteau que tous les milliards d’autres humains réunis. Pourtant, si on examine les mésaventures réelles de survie extrême en forêt ou en mer, la réussite dépend toujours du partage égalitaire. Dans les rares cas où ce n’est pas ainsi, sur le radeau de la Méduse par exemple, la méfiance et l’individualisme mènent à la folie et à la perte inutile de nombreuses vies. Mais dans la grande majorité des témoignages de situations de survie en groupe réussies, un leader né a immédiatement instauré un système humanitaire d’entraide et de partage égal du peu d’eau ou de nourriture disponibles. Plus encore, dans la littérature de survie, ceux qui osent le moindrement enfreindre cet honorable égalité sont châtiés et sévèrement punis par le groupe, jusqu’à être mis à mort.
Dans notre monde moderne, la solution pour réinstaurer l’égalité serait de sérieusement augmenter le niveau de taxation pour qu’il soit sincèrement proportionnel aux revenus. Ceci implique des taxes qui empêcheraient la richesse extrême, où par moralité les millionnaires seraient taxés disons à 90 %, et les milliardaires à 99 %. Dans ce nouveau paradigme, les individus seraient récompensés publiquement par la reconnaissance de leur fière action philanthrope plutôt que de leur richesse égocentrique. Est-il possible de considérer qu’une portion de ces taxes soit remise à un gouvernement mondial qui assurerait une certaine égalité entre les nations? Un peu comme les gouvernements provinciaux et fédéral du Canada ont des rôles différents, le gouvernement mondial aurait une responsabilité envers les grands enjeux qui outrepassent les frontières, tels le réchauffement planétaire, la protection d’habitats uniques et indispensables, la gestion des trésors patrimoniaux, la dépollution des océans, etc.
Ce genre de propos idéaliste est tué dans l’œuf par les abuseurs de pouvoir. La culture de ce que j’appelle la « normalité du mensonge » instaurée par ceux-ci leur accorde l’impunité. C’est l’argent qui mène, peu importe de duper les gens pour fins de profit. Par exemple, même s’il a été prouvé hors de tout doute que l’industrie du tabac est responsable d’ennuis de santé mortels, elle continue de créer la dépendance à la nicotine chez 20 % de la population mondiale en glorifiant la cigarette dans les pays infortunés. De façon semblable, partout, partout, on décèle et devine le contournement des lois, la fraude, l’escroquerie, la tromperie, la sournoiserie, la malversation, la tricherie, la corruption et les abus honteux.
À mon avis, l’acceptation du mensonge devient de plus en plus un des pires (R)isques auxquels l’humanité fait face aujourd’hui. Les escrocs savent qu’à force de répéter une fausseté, elle s’installe dans l’inconscient collectif et contrôle ses actions. Ce phénomène n’affecte plus seulement la course à la consommation, il se répand dans la sphère politique et même médiatique pour empêcher la justice. Il faut à tout prix inverser cette tendance et chacun doit se battre pour confronter chaque tromperie ou fraude dont il est témoin. Bravo aux mouvements « Moi aussi », « Black Lives Matter » et autres démarches de dénonciation du genre. Tout comme en situation de survie en forêt ou en mer ou dans le désert, la survie de l’humanité dépend de l’entraide et de l’égalité. Je crois que l’éducation en bas âge sera le seul moyen d’y parvenir, c’est là qu’il faut investir nos énergies et nos sous.
(A)touts est le dernier élément de l’acronyme SÉRA. En survie en forêt, on préconise de « dorloter nos atouts » afin de ne pas empirer la situation. Par exemple, on attache son canif pour ne pas le perdre, on prend précieusement soin de son seul paquet d’allumettes, on rationne sa nourriture, on maintient ses vêtements secs et évite de les déchirer.
Pour survivre sur notre planète, plusieurs atouts importants doivent être précieusement dorlotées de la même façon, car ils deviendront bientôt indispensables à notre survie.
L’eau propre est le premier de ces atouts à conserver. Il faut à tout prix éviter de polluer davantage celle qu’il nous reste. Ensuite, ce sont les habitats naturels restants que l’on doit protéger. Ces écosystèmes embrassent des milliers d’espèces d’insectes, d’animaux et de végétaux aux caractéristiques uniques. Qui sait lequel de ceux-ci cache la solution au cancer? On ne peut passer sous silence l’importance de conserver les arbres millénaires des forêts amazoniennes et des forêts anciennes de l’Ouest Américain, ce sont les poumons du monde. Au niveau planétaire, si on réduit la terre à la grosseur d’un ballon, notre atmosphère est aussi mince qu’une feuille de cellophane collée dessus. On ne peut plus gratter cette couche d’oxygène avec la rude action de brûler des combustibles fossiles.
Cette simple analyse du modèle SÉRA démontre hors de tout doute que les décisions prises autour du globe font fausse route. Pour que l’humanité survive, il faut réécrire le manuel d’instructions pour le vaisseau spatial « Terre ». Comme le disait si bien le grand philosophe et visionnaire Richard Buckminster Fuller, on doit choisir entre l’utopie ou la mort. Soit qu’on répare la machine en amenant l’humanité au complet à un niveau de vie serein, soit que l’on crève tous en tentant de préserver le pouvoir des plus nantis.
En survie en forêt, on préconise la technique de « l’essai bref ». Avant de s’engager définitivement dans une action longue et pénible, on l’expérimente un peu avant. Par exemple, pour choisir entre marcher dans la forêt ou descendre la rivière à la nage, une brève tentative des deux options peut apporter la réponse. Quand on se rend compte après une immersion de deux minutes que l’on est déjà gelé, on choisit la randonnée en forêt; quand on rencontre ronces et sol marécageux lors des cent mètres d’expérimentation en forêt, on peut préférer l’eau chaude de la rivière. Pour les décisions planétaires, il serait aussi temps d’entrevoir ainsi quelques nouvelles façons de faire en examinant toutes les options possibles.
Pour voir clair, tout comme en survie en forêt, il est utile de réduire le problème à sa plus simple expression, plus facilement compréhensible. Le mouvement du « Village de 100 personnes » devient fort utile à cet égard. Quand on réduit les chiffres proportionnellement, les résultats frappent éloquemment. Selon les statistiques, dans le village à 100 personnes, on retrouve 60 Asiatiques, 16 Africains, 10 Européens, 9 Sud-Américains et seulement 5 Nord-Américains. Parmi ceux-ci, 12 parlent chinois, 6 parlent espagnol, 5 parlent anglais et les autres parlent tous des langues différentes. Quatorze des cents personnes ne savent ni lire ni écrire. Vingt-deux se retrouvent sans abri. Au niveau de la santé, 22 personnes sur 100 sont obèses tandis que 11 ne mangent pas suffisamment pour maintenir leur énergie, et un triste individu est en train de mourir de faim. Neuf personnes sur 100 n’ont même pas d’eau propre à boire. Le pire, c’est que les 5 Nord-Américains se sont accaparé 600 000 $ du million de dollars disponible annuellement dans le village, tandis que 15 personnes tentent de survivre avec moins de 2 $ par jour.
Heureusement, avec le temps, les communications planétaires et la mondialisation d’aujourd’hui exposeront de plus en plus cette réalité. De nouveaux et jeunes dirigeants inquiets se soucieront du futur et apporteront des changements. Espérons qu’il ne soit pas trop tard. La survie de l’humanité en dépend.