LA RÉSURGENCE AUTOCHTONE PAR L’ÉCRITURE DU PRÉSENT :
La vallée des fleurs de Niviaq Korneliussen
Par Marie-Andrée Gill
Niviaq Korneliussen écrivait sur son mur Facebook il y a quelques semaines à la sortie de la publication traduite en danois de son livre :
« En tous cas, ce titre sonne très sexy en français. »
C’est vrai qu’à première vue, La vallée des fleurs semble un titre romantique. Il réfère plutôt à un lieu au Groenland où la narratrice voudrait être enterrée, près des souvenirs de son aanaa, sa grand-mère, et près du lieu de naissance de son amoureuse Maliina.
La souffrance humaine et le suicide sont abordés de près et de loin dans ce roman puissant, avec une narration précise et sensible, sans détour, vraie. Une grande empathie se dégage des personnages qui veulent tant prendre soin les uns des autres et qui ont de la difficulté à s’y retrouver. Il y des amours puissantes qui se brisent par un mal difficile à cerner, celui qui nous détruit lentement, celui qui fait partie des maux insidieux qu’ont engendrés le colonialisme chez les peuples autochtones. Les non-dits dans les relations amoureuses sont aussi explorés, ceux qui nous poussent vers les côtés sombres de nos êtres. C’est un livre sur la fragilité de la santé mentale et les liens qui nous lient aux autres dans la vie, et la pulsion de mort :
« Ma mort ne me concerne pas, elle concerne tous ceux qui m’entourent. »
Niviaq Korneliussen aborde de front les tourments du mal-être par l’authenticité et la transparence de sa narratrice. On a accès à son fil de pensée profonde en même temps qu’à son fil d’actualité sur son téléphone, où on ne peut voir qu’une certaine partie des gens, où se génèrent des angoisses et où on apprend les suicides, en plus d’avoir accès aux commentaires sous les publications des mères endeuillées.
Ici, le suicide n’est pas un sujet à esquiver. C’est ce que la narratrice souligne en gras par les titres marquants de chaque chapitre. Elle trouve insupportable que les gens autour d’elle mentent au sujet des morts volontaires en les faisant passer pour des accidents. Pour elle, nier le suicide c’est nier la souffrance. Elle met donc à jour les dynamiques qui causes plusieurs formes d’affliction depuis la colonisation danoise. Elle arrive à se comprendre en remarquant que la nuit polaire endort les souffrances et le soleil de minuit, les montre à découvert. Il se crée un cercle systématique entre la lumière et l’obscurité, le fait de montrer ou de cacher. C’est tout là que réside le génie sensible de l’écriture de Korneliussen, qui combine les forces naturelles qui nous gouvernent et celles qui se recréent en nous :
« Dans le noir, ta beauté est plus absente, mon corps moins exposé, nos cicatrices moins visibles […]. Sous le soleil de minuit, tu es trop belle, et je ne pourrais pas m’en empêcher, je peux aussi bien être honnête et te dire que tu serais ma mort et que je t’entrainerais avec moi au fond. »
C’est un roman sur la souffrance mais, surtout, sur l’amour qui à la fois nous fait du bien, nous blesse, nous détruit.