Je travaille dans un collège qui offre des formations en enquête et investigation. Dans le cadre de mes responsabilités, je croise des enseignantes et enseignants qui sont de véritables détectives, comme dans les films, et qui montrent le métier d’enquêteur. Je vous rassure, ils ne portent pas d’imperméables beiges et la loupe a été remplacée par les techniques que permettent les technologies numériques. Le travail d’enquête est fascinant. Dans la quête incessante de vérité et de découverte, l’investigation émerge comme une lumière dans l’obscurité dirigeant les esprits curieux vers des territoires inexplorés de connaissance et de compréhension. Appliquer ces techniques à la culture serait selon moi un exercice tout à fait enrichissant. Car parfois, au cœur de la démarche sérieuse et minutieuse de l’enquêteur se cachent des joyaux d’inspiration, des éclats de rire qui illuminent notre route. C’est dans cette optique que je nous invite à plonger dans les eaux profondes de la culture québécoise, explorant ses travers, ses histoires et ses mystères, à la recherche de nouvelles perspectives pour cette présente édition.
Si j’avais à embaucher un spécialiste en ce moment, c’est à l’inspecteur Clouseau que j’aurais voulu donner la mission d’investiguer à mes côtés sur la culture. Parmi les géants humoristiques, un nom résonne particulièrement dans ma tête : Peter Sellers. Son incarnation inoubliable du célèbre détective dans la série « La Panthère Rose » a captivé des générations entières de spectateurs, conjuguant maladresses hilarantes et perspicacité cachée derrière des lunettes embuées. Mais au-delà de ses talents comiques, Sellers était un créateur visionnaire, un chercheur de vérité dans les méandres de la comédie. C’est à lui que j’ai pensé spontanément lorsque le thème d’investigation a été choisi. Depuis 15 ans que notre magazine existe, je crois que c’est la première fois que j’aborde l’humour, l’absurde et le burlesque dans un éditorial. Et pourtant, il s’agit d’un trait propre à notre identité. Au-delà du rire se dissimulent parfois la profondeur et la résilience d’un peuple. Il m’arrive régulièrement de dire c’est une autre façon de montrer les dents.
Dans son article « Le burlesque québécois L’avant-garde version “peuple“ », Jean-Marc Larrue souligne que le burlesque est le parent pauvre du champ théâtral. Je me permets de citer cet extrait :
« La question, d’ailleurs, de la valeur artistique du comique reste entière. Même chez ceux qui ont pris la défense du comique, praticiens célébrés ou théoriciens reconnus, on sent un mal-être. »
Au cœur de cette exploration, ce que l’on découvre c’est une tradition riche en couleurs, en personnages excentriques et en jeux de mots subtils ; le burlesque québécois est un trésor caché qui mérite d’être redécouvert. Des figures emblématiques comme Gilles Latulipe ou Olivier Guimond ont marqué l’histoire de notre comédie nationale, et ont ouvert la voie à une nouvelle cohorte d’artistes tels que Les Cyniques avec leurs sketches satiriques et leur humour irrévérencieux, ou encore Paul et Paul, avec leur ironie contagieuse et leur capacité à mettre en lumière les absurdités de la société. Malgré
cette richesse de talent et de créativité, le genre lutte pour trouver sa place dans le paysage québécois contemporain. Relégué par certains au rang de divertissement de second ordre, il se retrouve dans l’ombre éclipsé par des formes d’expression moins populaires. La réflexion historique et philosophique accorde en effet bien peu d’importance au comique et à son public. Cependant, c’est précisément dans cette lutte pour la reconnaissance et la légitimité que réside la force de ce style. En se dressant contre l’oubli, en défiant les conventions et en repoussant les limites de l’humour, il incarne l’esprit même d’un peuple : la quête incessante d’ironie et de créativité, souvent dans les endroits les plus inattendus.
En lisant cet éditorial, vous constaterez comme moi que lorsqu’on enfile les lunettes de l’investigation, nous sommes parfois transportés sur des chemins de traverse qui peuvent nous étonner. En discutant avec mes détectives-enseignants, j’ai appris une chose : lorsqu’on débute ce type de démarche, nous savons ce que cherchons mais jamais ce que nous allons y trouver. Le chemin que j’ai suivi a été guidé par des indices qui m’ont permis de faire une découverte qui à mes yeux mérite d’être partagée. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai emprunté la piste du burlesque, pour voir où cela me mènerait. C’est ce que les enquêteurs appellent un « cold case », une enquête que l’on croit impossible, voire irrésoluble. Il y a matière à creuser. Dans le présent numéro de Zone Occupée, nos autrices et auteurs ont suivi leurs propres indices et nous entraînent dans les dédales de notre culture actuelle à travers le prisme de l’investigation, grâce à de brillants textes exploitant le sujet dans toutes ses dimensions. Plusieurs ont choisi de sortir des sentiers battus et d’investiguer sur des aspects sombres, inconnus, graves voire tabous, mais également captivants et inspirants. Je vous invite donc à aborder ce magazine comme un rapport d’investigation. Vous y découvrirez la richesse et la diversité de notre patrimoine, mais aussi ses travers, dans un voyage toujours fascinant nous menant vers des horizons inexplorés. Où en est donc notre culture ? Elle est là, enfouie peut-être dans les rires, les pleurs et les récits de notre passé et de notre présent, mais aujourd’hui célébrée par les cogitations d’observatrices et d’observateurs compétents et en phase avec notre monde contemporain. Et c’est dans cet esprit que nous nous lançons une fois de plus, armés de curiosité et d’enthousiasme, dans une exploration enrichissante nous guidant vers de nouvelles révélations à propos de nous-mêmes.
Bonne Lecture!
Jean-Rémi Dionne