QU’ENTEND-ON PAR REGARDER UNE ŒUVRE ? COMMENT POUVONS-NOUS ALLER AU-DELÀ DE NOS PREMIÈRES IMPRESSIONS ? POURQUOI LES GENS LA CONSIDÈRENT-ILS COMME INTÉRESSANTE ? CE SONT LÀ DES QUESTIONS LÉGITIMES À SE POSER POUR TOUT AMATEUR D’ART.
Ici, nous regroupons ces questions dans une séquence intégrant trois actions de base : regarder, questionner et apprécier. Ces étapes tracent un chemin convivial vers la rencontre d’un travail artistique.
Claire Maltais vit à Saint-Gédéon et a travaillé à Alma ainsi que dans les municipalités avoisinantes. Ses études en arts plastiques au Collège d’Alma l’ont amenée, à partir de la fin des années 1990, à produire plusieurs œuvres d’art public au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le début de sa carrière est marqué par la réalisation de l’œuvre ALMAnach (1996-1997) ornant l’amphithéâtre de Place Festivalma. Le projet d’envergure composé de 28 bas-reliefs de béton a été en partie financé par la population locale. Elle a ensuite réalisé de nombreuses œuvres dans la municipalité d’Alma dont Cité-Rivières (1997), REpaire (1998), Les Signataires avec Jocelyn Maltais et d’autres artistes (1999), la Passerelle aux outardes (2000), ENtorse à l’équité (2000) ainsi que le monument à la mémoire du fondateur de la ville, Damase Boulanger (2013). En plus d’avoir travaillé à deux éditions de l’événement la Biennale du dessin, de l’estampe et du papier du Québec et au centre d’artistes Langage Plus à titre d’animatrice culturelle, l’artiste a également collaboré avec plusieurs entreprises de la région à la restauration de bâtiments patrimoniaux tant au Canada qu’aux États-Unis. Elle a notamment participé à des projets de rénovation au Whitney Museum of American Art et au Ritz Carlton de New York, ainsi qu’à l’Université Harvard à Cambridge.
Prenez le temps qui vous convient pour bien examiner tous les détails de l’œuvre Passerelle aux outardes. Vous pouvez passer d’une composante sculpturale à l’autre pour les comparer entre elles et identifier les éléments qui font de l’ensemble des pièces un tout harmonieux. Émettez ainsi vos premières impressions sur l’œuvre et les hypothèses sur sa signification.
L’œuvre de Claire Maltais présente plusieurs caractéristiques intrigantes : quelles sont les inspirations de l’artiste pour sa conception ? Comment s’intègre-t-elle dans son environnement ? Quelles sont les techniques employées pour la produire ? Voici quelques informations qui vous aideront à mieux identifier les éléments figuratifs et thématiques ainsi que les méthodes utilisées. Elles vous permettront également d’approfondir votre réflexion et d’élaborer une opinion plus précise sur cette création.
En se penchant sur le travail de Claire Maltais, on perçoit tout de suite l’importance accordée par l’artiste à l’intégration de ses œuvres dans leur environnement respectif. Ses créations s’harmonisent non seulement à leur lieu d’accueil, mais révèlent l’histoire et la vie des gens qui l’occupent. Cette méthode de création, où la conception même l’œuvre est faite en fonction du site sur lequel elle sera installée, est nommée in situ. Cette expression latine signifie dans le lieu précis où quelque chose se trouve[2]. Un bon exemple d’une œuvre in situ est l’ALMAnach à la Place Festivalma. Composée de 28 bas-reliefs de béton spécifiquement conçus pour épouser la structure du bâtiment représentant le patrimoine d’Alma et des villes voisines, elle évoque tout autant les légendes et les événements marquants de la ville que la faune et la flore environnantes[3]. Sollicités dès le début du projet, les entreprises et les commerçants locaux ont financé ce qui forme aujourd’hui un livre ouvert sur l’histoire populaire de la municipalité. Cette réalisation montre comment, en créant un sentiment d’appartenance pour une œuvre, on peut bénéficier du soutien de toute une communauté.
Avec la Passerelle aux outardes, c’est véritablement le lieu qui est mis en valeur. En plus d’enjamber la rivière Petite-Décharge, ce pont permet aux cyclistes et aux promeneurs d’observer, printemps comme automne, la migration de ces majestueux volatiles. Vélos comme oiseaux parcourront ainsi d’importantes distances en se guidant grâce aux routes terrestres aussi bien que fluviales formées par les lacs et les rivières. L’œuvre rappelle donc cette traversée commune et agit comme une signalétique pour les cyclistes qui empruntent la passerelle : les outardes leur tracent la voie.
Maintenant que vous en savez davantage sur le terme in situ, connaissez-vous d’autres œuvres d’art public qui s’intègrent aussi bien dans leur environnement ? Si oui, représentent-elles des éléments spécifiques au patrimoine historique du lieu ?
Le changement des saisons au Saguenay–Lac-Saint-Jean, comme dans beaucoup d’autres régions du Québec, est marqué par l’arrivée et le départ des outardes. En partant à l’automne, les oiseaux annoncent les premières neiges et leur retour au printemps signale l’ouverture prochaine des bourgeons. Leurs cris, comme les battements de leurs ailes, sont des indicateurs tout aussi remarquables que leur présence blanche et grise dans les champs et dans les airs. Dans les années 1960, une biologiste du nom de Rachel Carlson publie le livre Silent Spring qui marquera l’émergence des mouvements écologiques aux États-Unis. En effet, la scientifique avait constaté au cours des années qu’elle entendait de moins en moins ces oiseaux migrateurs à l’arrivée du printemps. Elle a ainsi découvert que l’utilisation des pesticides dans les champs faisait dramatiquement diminuer leur population[4]. Cet essai présente donc les impacts négatifs que peuvent avoir les activités humaines sur l’équilibre de notre écosystème et la survie de certaines espèces.
La Passerelle aux outardes de Claire Maltais nous démontre exactement le phénomène inverse. Avec la fin de l’usage du dragage de bois sur les rivières par l’industrie forestière, l’artiste a remarqué la présence de plus en plus d’oiseaux migrateurs sur les cours d’eau qu’ils avaient jadis délaissés. Cette œuvre est donc une ode à leur retour et les invite à revenir toujours en plus grand nombre. Comme quoi il n’en tient qu’à nous de renverser nos impacts négatifs sur notre environnement.
L’artiste rend ainsi hommage aux changements positifs qui s’opèrent dans la nature. Pouvez-vous identifier d’autres transformations dont vous avez été témoin et qui améliorent le monde qui nous entoure ? Est-ce que ces initiatives ont fait l’objet d’une création artistique ?
En comparant les réalisations de Claire Maltais entre elles, on remarque une constante dans leur composition : la répétition d’un motif ou d’un même élément. À l’image d’une dentelle où les dessins de fils sont soit semblables ou soit distincts, c’est l’ensemble qu’ils composent qui devient admirable. L’artiste crée ainsi une communauté visuelle où chaque élément est important et participe à la signification de l’œuvre globale.
Cette ritournelle esthétique, on la retrouve dans l’ALMAnach, mais aussi dans Cité-Rivières située sur les berges de la rivière Petite-Décharge. Cette oeuvre est constituée de 40 bas-reliefs installés sur les paliers de la promenade urbaine et représente la vie aux abords des affluents du Lac-Saint-Jean. Le nom des cours d’eau est également gravé sur les garde-corps de béton de la promenade. Comme l’ALMAnach, l’installation dresse un portrait expressif et diversifié de la communauté qui peuple le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean et qui s’est développée, en grande partie, grâce à ces rivières. On retrouve le même procédé dans la sculpture enTorse à l’équité qui évoque cette fois les problématiques liées à la condition féminine. Sur cinq bustes, représentant les cinq continents, l’artiste y a inscrit les iniquités vécues par les femmes à travers le monde. Elle nous invite ainsi à en prendre conscience et à agir. La répétition est particulièrement remarquable dans la Passerelle aux outardes où une ribambelle est formée à partir d’une même silhouette d’oiseau montant haut vers le ciel. Cette installation, composée de 14 pièces, illustre comment le mode de vie des outardes repose sur cette idée de collectivité, car leur périlleux voyage ne peut se faire seul. Elles ont besoin les unes des autres pour l’accomplir. Grâce à cette stratégie esthétique, l’artiste met ainsi de l’avant le concept de communauté : c’est en rassemblant et en partageant nos histoires et nos aspirations que nous pouvons mieux vivre ensemble.
Connaissez-vous des artistes qui utilisent la répétition dans leurs œuvres ? Si oui, qu’est-ce que cela apporte à leur travail ? Y retrouve-t-on cet aspect de communautaire dans les créations de Claire Maltais ?
Quel matériau emploie Claire Maltais pour réaliser son œuvre ?
L’artiste a utilisé de l’aluminium pour réaliser son œuvre la Passerelle aux outardes, pour sa malléabilité, sa légèreté et sa résistance. Il est intéressant de constater qu’il s’agit ici d’aluminium texturé que l’on retrouve généralement à l’intérieur des usines ou encore sur les marchepieds des camions. Cet usage inusité est certainement lié aux nombreuses expériences professionnelles de la sculptrice dans différentes entreprises en construction de la région. Habituée à côtoyer cette matière, elle l’a ainsi employée dans un contexte tout à fait nouveau. Lorsque l’on s’y attarde, on remarque que les textures sur la surface de l’aluminium, par leur forme ovale et allongée, rappellent le plumage d’un oiseau, comme si certaines plumes rebelles avaient été ébouriffées par le vent. La créatrice transforme donc un matériel industriel en un objet au riche potentiel poétique. Il en va de même pour le béton qu’elle a appris à façonner à travers les différents projets artistiques et de restauration qui ont ponctué sa carrière. À partir d’une matière brute et à l’apparence sévère, elle crée des œuvres tant élégantes que très sensibles.
Que ressentez-vous en vous plongeant dans le travail de Claire Maltais ? Cette création vous interpelle-t-elle davantage maintenant ? Qu’en retenez-vous ? Vos interprétations de départ se sont-elles transformées ? Si oui, comment ? Comprenez-vous mieux la pratique artistique de l’artiste à présent ?
Apprécier une œuvre ne signifie pas nécessairement l’aimer, mais vous permet d’élaborer votre interprétation en dépassant le « j’aime » ou « je n’aime pas ». Une meilleure compréhension de la vision de l’artiste et une prise en compte des éléments narratifs aident à aborder l’œuvre plus en profondeur. C’est le moment de faire une synthèse de vos perceptions et de construire votre propre lecture.
Des questions pour lesquelles vous aimeriez lire ou entendre nos réponses ? Contactez la rédaction de la revue Zone Occupée pour partager votre point de vue ou simplement lui faire part de votre appréciation.
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[1] Inspiré de Repère, petit guide pour regarder, questionner et apprécier l’art contemporain (2016).
[2] Définition d’in situ : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/in_situ/43351
[3] Sénéchal, Gilles (2005) Itinéraire d’une mémoire : Répertoire des œuvres d’art publiques au Saguenay–Lac-St-Jean, Galerie Séquence : Chicoutimi, p.194.
[4] Description du livre Silent Spring de Rachel Carlson : https://www.leslibraires.ca/livres/printemps-silencieux-rachel-carson-9782918490005.html