Almamos
Mourial
Par Alexandre Enkerli
« Service! »
Elle crie comme si sa vie en dépendait.
Ton plat de « party mix » qui vient clore ta « soirée festive » s’annonce de façon intempestive. Le serveur a remarqué ta réaction.
T’es à Amos. Et à Alma. De toute façon, 48e parallèle. Comme la bière que tu bois, collab Harricana-Riverbend. Pourtant, t’es à Montréal. Aux confluents des rivières Mile-Ex, Villeray et PetPat. Là-bas, t’étais un foodie. Ici, t’es juste un random qui vient prendre un verre à la fin d’une semaine occupée.
À Alma, tu serais sûrement en train de te sustenter à la bouffe réconfort de Robi pendant que tu parlerais de vins natures avec Oli. À Amos, tu penserais à « Ivanô ». Le Thiffault qui a parti toute une lignée. Tu l’as pas connu. T’as connu ses enfants et ses petits-enfants. Ton cousinage. D’une conseillère municipale à un designer urbain, d’une prof de piano à un acteur. Toute une famille dont le film n’a jamais été scénarisé.
Pourtant, t’es à Montréal. Cité de plaisirs culinaires. D’hédonisme gastronomique. D’émissions de télé qui te parlent de bonnes choses que tu peux manger si t’oses quitter ton appart’, pour quelques minutes.
« Tu devrais penser aux gens qui crèvent de faim! »
Tu y penses.
Souvent.
Depuis des décennies.
Y compris pendant ton court séjour dans le Sahel UNESCO. Dans ce « Deuxième pays le plus pauvre au monde » (selon les données que nous souhaitons récolter). Ce lieu où une personne peut passer des années à se faire nourrir par d’autres sans débourser un sou et sans être considérée comme parasite.
La faim dans le monde, c’est pas le problème que Malthus avait prédit. Ou même Adam Smith. La fin du monde, c’est l’inégalité. C’est l’appât du gain. C’est Meta, Alphabet… Koch. C’est toi, dans ta citoyenneté et non dans ta consommation. Finir ton assiette, pas gaspiller… Ça marche, côté familial. Quand t’as des milliards de personnes dans ton ventre, c’est plutôt une question de trouver une réponse. Systémique. Le Québec se complait dans un système. Comme la région autonome du Níngxià, pour parler de populations similaires. On peut s’autoflageller : « C’est moi, c’est tout de ma propre faute! » ou se mettre la tête dans le sable. Ça règle pas le problème.
Tu te rappelles de cette salle. Près de 300 personnes qui voulaient parler de sécurité alimentaire. Pendant la période des récoltes. Sur ces 300 charmantes personnes, combien ont levé la main pour admettre qu’elles avaient déjà souffert d’insécurité alimentaire? L’autre personne, tu l’as jamais connue. Tu pensais pas à elle, vraiment. Tu te posais simplement la question : Est-ce que ça compte, ces semaines pendant lesquelles deux hamburgers de chez Rallye Burger sur College Avenue à Bloomington, IN pour 0,59$ chaque (1,18USD plus tax) constituaient ton repas principal? Après tout, tu savais que l’aide financière allait finir par rentrer. Ce moment où tu te sentais comme une éponge qui se remettait à pomper du liquide pour la première fois depuis des années.
Si t’étais au Mali, ça serait moins une question d’argent. Tant que c’est pas une guerre (causée par les intérêts étrangers) ou une famine (causée par des changements climatiques causés par des intérêts étrangers), d’autres personnes s’assureraient que t’as assez à manger pour survivre. La justice sociale, c’est une « simple » question de solidarité. De base. T’apprends ça avant l’école. Comme l’empathie. Et le respect de l’âge. L’école va te pousser dans une autre direction. Celle de la compétition à tout prix. La survie, non pas des mieux adaptés, des ceusses qui remplissent les critères des ceusses qui décident.
Ce soir…
T’as mangé des dumplings, des chrysanthèmes, de la morue. C’était goûteux. Ç’a assouvi ton besoin de te sustenter après une semaine pendant laquelle t’arrêtais pas de parler de #vindredi. Le mot-clic qui désigne autant ton impatience de débuter la fin de semaine qu’un appel à l’amitié. Au commensalisme.
Manger ensemble, c’est tellement différent.
Pendant tout le confinement, t’as mangé pas mal tout seul. C’est quand la dernière fois que t’as pris un repas avec quelqu’un d’autre? Pas facile de te rappeler. La dernière fois que t’as cuisiné pour quelqu’un d’autre? Tu préfères pas te rappeler. Ça fait trop mal. Qui aurait pensé que c’est vraiment différent de manger tout seul ou avec d’autres? Ok, oui, toi. Tu y penses depuis longtemps. Ça t’a pas aidé à te préparer.
Alors t’es tout seul.
Encore une fois.
« Tout est correct, ici? »
« Presque. »
Te manque juste… une autre bouche.