
Échange facebook entre Marie-Andrée Gill et Natasha Kanapé Fontaine, femmes de lettres innues. Texte lu au Centre Bang de Saguenay dans le cadre d’une soirée organisée par la maison d’édition La Peuplade ainsi qu’à la Focal, centre de diffusion d’art de Port-au-Prince, dans le cadre de l’évènement Nuits Amérindiennes.
Te réchauffer dans la tanière de mes membres
Boire à même l’eau de bouleau de tes cuisses de chevreuil le printemps qui se répand toujours en masse dans nos rêves de chaleur
Tsé, quand le lac cligne des yeux et grignote le béton des plages cachées, quand la terre invente les craquelures pour y laisser grandir du vert
tsé quand tu marches et que tu vois un pissenlit pousser dans le béton et que juste une phrase te pop dans la tête :
« la force du monde
est dans
une fleur,
ostie ».
Ben c’est là que le cœur te fait des accroires encore de se dire que tout est possible, que tout est peut-être
L’espérance, le plus grand leurre et la plus grande arme de l’humanité, hein Nat ?
Les éléphants sauvages comprennent des milliers d’années de glace sur le corps pourquoi nous buvons autant de vodka la nuit tombée de haut
Nous
le futur des choses
Nous
les caribous électriques
pour extraire encore un peu plus de plastique de la terre quand la neige dégèle nos fantômes.
Nous le futur des choses, nous les caribous électriques
que l’on s’embrase les nuits glaciales de mars et de nous laisser de glace que la masse médiatique qui nous délasse de la force tranquille du monde
que les fleurs dont je te coiffe sur le lichen de notre terre je puisse glisser mes doigts sur plus loin que tes cuisses et les collines de notre terre
que les chasses se fondent en toi ma baie d’Ungava que je t’atteigne enfin toi chemin qui remonte si loin de mes jambes de mes rivières
en ma crinière tes lèvres s’ouvrent et se referment le baiser de la dernière louve sur le flanc des panaches sur le front du chef des troupeaux courant vers les lacs vides qui clignent des yeux
j’écoute attentive au bruit des sabots en mes veines sur mes reins et j’attends impassive que vienne le bruit des machines et des barrages
que je vienne que je vienne les harnacher des dents autant qu’ils lacèrent ton corps ma beauté ma force
gave-moi encore de vodka la nuit tombée de haut et je te montrerai la force tranquille qu’est la révolution
les caribous électrocutés nous les sauverons par le bouche-à-bouche.
Les grands yeux verts de l’aurore boréale dansent dans les respirations d’ordinateurs
la blancheur des pages de Word
la blancheur des territoires fluos comme mes rêves calqués sur ton délire
de rip pressée,
mes rêves qui prennent une débarque à chaque mot de plus des dirigeants sur repeat
J’ai envie de leur apprendre les vrais dessins moi
J’ai des soleils qui sourient j’ai des maisons des nuages et des mouettes en forme de m comme tout le monde
J’ai des couleurs de pas de bon sens comme la vie en dessine dans ses troupeaux de siècles qui nous passent sur le corps à chaque jour
à travers notre linge.
Et si parce qu’on est femme on se laissait peindre sur le corps par les aurores qui ont la même couleur que tous nos espoirs réunis Marie pis si on leur montrait les torrents qui déferlent de nos bassins de nos engelures de nos cordes de nos cris que ces dirigeants désirent tant par l’image malade véhiculée de nos corps devant leurs yeux exorbités devant leurs pénis aigris devant les montagnes fiscales Pis si on leur disait qu’à nous deux par l’héritage de nos mères par la force des foulées de nos meutes Les femmes recouvriront de leurs chevelures et de leurs chants à nouveau l’intérieur de nos terres Et ils verront que dans les alliages que nous brassons par les oiseaux inondés et les saccages de tanières – mon corps en est une – les ours se soulèveront sur leurs pattes arrières par nos cris et nos appels de femmes cambrées dans les aubes soutenues
et les lignes électriques revoleront comme les cordes cassées d’une guitare menée à boute.
Je serai la mère berçante
la mère console de jeu vidéo dans les nuits de fièvre
à traduire dans toutes les langues la poésie gratuite des rivières
à deviner le langage secret que les enfants ont avec les bibittes
Moi je dis nous sommes fauves
Nous pouvons mourir neuf fois ou même mille
Et quand même retomber sur nos pattes comme toujours
Comme tous ces parcours d’hiver nous ont faites
Fortes.
Féconde ma terre ma beauté ma bête ma féroce sur le parvis des églises tu chanteras habillée de pages de poèmes pour épouser et le territoire ancêtre et le chef du troupeau et mon corps tendu sur le cerceau d’un tambour trouvé dans le sable sur les plages du pays
au Cambio je commande dans l’attente pour ma grande gueule la beauté des muscles du cerf rouge qui s’engouffre entre les ligaments mouvants du limon de notre origine ainsi tu m’apparais vierge et pourtant mère de tous les enfants qui te piétinent les tiens le ciel bleu fier les contemple en se disant qu’il en est l’heureux père car les survivants de nos réservations de restaurants pour arrêter de faire la file derrière les remplaçants et les futurs leaders de notre peuple farouche je déconstruis les lignes électriques les installations d’Hydro pour mieux reconstruire un casse-tête avec lequel s’amuseront et mon fils imaginaire et tes fils vibrants
nous les oindrons pour l’avenir et l’aube parfaite rouge et blanche flamboyante
nous le futur des choses nous les caribous électriques nous serons le socle de ces chefs à venir.
Marie-Andrée Gill (Marie-Ambrée Gill) est étudiante à la maîtrise en lettres à l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle participe à la vie littéraire sous toutes ses formes (revues, événements, prestations). Son écriture se promène entre kitsch et existentiel, alliant les identités québécoise et ilnue. Elle a publié deux recueils chez La Peuplade, Béante (2012) et Frayer (2015).
NATASHA KANAPÉ FONTAINE Née en 1991 à Baie-Comeau, Natasha Kanapé Fontaine (Maikaniss Naa K) est une Innue de Pessamit. Poète-slameuse, peintre, comédienne et militante pour les droits autochtones et environnementaux, elle vit à Montréal.